Les canons de Kuntzig
Artillerie lourde sur voie ferrée
Préambule
Depuis l’apparition de l’artillerie sur les champs de bataille, le déplacement des canons a toujours posé problème. Si les premières pièces d’artillerie pouvaient être tractées par des chevaux, l’augmentation drastique de leur poids demande rapidement l’apparition de nouveaux mode de transports, notamment grâce au moteur. Cependant, l'adoption de canons de calibres de plus en plus élevés entraîne mécaniquement une augmentation du poids... alors que les limites des châssis et de la puissance des moteurs se fait bientôt ressentir. On décide donc de choisir la voie ferrée, qui présente l'avantage d'avoir une plus grosse capacité de transport cumulée à un réseau d'itinéraires bien développé. L'Armée française adoptera plusieurs matériels d'artillerie lourde allant jusqu'à un calibre de 400 mm, tous transportés par voie ferrée et regroupés sous un acronyme : ALVF, pour Artillerie Lourde sur Voie Ferrée.
Fortement utilisée pendant la Première Guerre mondiale, l'ALVF est toujours en service à la mobilisation du mois de septembre 1939. Cependant, ses matériels commencent à se faire anciens, certains datant du début du siècle, et plusieurs officiers discutent de la nécessité d'aligner encore des pièces d'artillerie qui sont lentes à mettre en batterie.
Objectifs
L'artillerie lourde a pour rôle de contrebattre et de détruire les objectifs que les autres artilleries n'atteignaient pas à cause de l'insuffisance de leur portée ou de leur puissance. Elle reçoit donc comme objectifs des points d'appui fortifiés, des gares, des nœuds de communication ou de ravitaillement, etc. Ces très gros canons n'avaient pas été conçus pour la guerre terrestre, mais étaient employés avant-guerre sur les bâtiments de la marine ou pour la défense côtière. Pour l'utilisation terrestre on trouvait des pièces à tracteurs, mais le plus souvent elles étaient sur voies ferrées, seul moyen idoine pour donner la mobilité stratégique nécessaire à de tels engins. Les voies se terminaient alors à proximité du front par des épis, voies en cul-de-sac et en zigzag avec de longues courbes pour orienter le canon dans la direction souhaitée, car celui-ci n'était pas orientable sur son affût.
Les principaux canons longs étaient de 140, 160, 190, 240, 270, 305, 320 et 340. Les principaux canons courts étaient les obusiers de 370 et 400mm.
Canon de 305mm modèle 1906G et modèle 1906/10G
Ces canons sont des pièces de marine, ayant été utilisés par les cuirassés Danton et les Courbet. En septembre 1939, on trouve six canons en ligne au sein de l’Artillerie Lourde sur Voie Ferrée, en l’occurrence trois canons modèle 1906G au sein du 372ème RALVF (5ème batterie, 2ème groupe) et trois canons modèle 1906/10G au sein du 373ème RALVF (11ème batterie 3ème groupe).
Suite à la réorganisation de l’artillerie lourde sur voie ferrée avant-guerre, ces pièces sont retirées du service, les affûts ferraillés et les canons stockés au parc d’artillerie de Guipavas en compagnie des canons de 305 mm des Courbet après leur désarmement.
En version marine, ce canon de 45 calibres (calibre signifiant la longueur du tube du canon) tire des obus de 432 kg (perforants) et de 308 kg (explosifs) à une portée maximale de 27500m à raison de 1,5 à 2 coups par minute. Le poids du canon est de 20800 kg, l’affût de 183 tonnes. Le canon peut pointer en site de +22° à +40° et en azimut sur 10°
L’affût est dit « à glissement », car la pièce est en quelque sorte posée sur la voie qui est renforcée par des poutrelles posées parallèlement aux rails; en principe, les essieux ne subissent aucune contrainte et la pièce glisse vers l'arrière au départ du coup, suite au recul occasionné par le tir.
Par ailleurs ces matériels n'ont pas de dispositif de pointage en direction (ce qui leur permet de viser) de ce fait la voie est en forme d'épi courbe et le pointage en direction se fait selon une tangente à cette courbe.
Après chaque coup, il faut donc relever l’affût pour ramener la pièce au bon endroit.
La position ALVF de Kuntzig
La position ALVF de Kuntzig était équipée de trois pièces de 305 modèle 1906 G sur affût à glissement.
Masse du matériel complet : 208.000 kg
Poids de la bouche à feu : 78.000 kg
Longueur entre tampons : 27,2 m
Pointage en site : 0 à +38°
Portée maximale : 34.000 m
Cadence de tir : 1 coup/mn
Masse du projectile : 308 kg
Poids de la charge : 127 kg
Vitesse initiale : 900 m/s
Temps de mise en batterie : 20 mn (optimale)
CONSTRUCTION : Description
Emplacements préparés pour l'ALVF
4 épis voie normale à partir de la voie SNCF
EFFECTIF : Commandement et/ou unité
5ème Batterie du 2ème Groupe du 372ème Régiment d'Artillerie Lourde sur Voie Ferrée (RALVF)
HISTORIQUE : Chronologie
Les pièces ont été mises en position en avril 1940.
- 10-11 mai 1940 : les 3 pièces de 305mm Mle 1906 ouvrent le feu sur les troupes allemandes avançant au Luxembourg, ainsi que sur l'Allemagne.
- jusqu'au 12 juin : douze tirs seront effectués de Kuntzig, totalisant 54 coups, sur la gare d'Altzingen et sur la voie ferrée d'Oetrange (quatre coups tirés).
- le 19 mai : sur les batteries et villages des bords de la Moselle et sur une batterie ALVF allemande de 240 à Palzem (cinq coups tirés le 24 mai).